c est quoi l amour en psychanalyse

StevenLevac a sorti son premier album en 2021 qui a fait fureur et aujourd'hui il lance sa nouvelle chanson (C'est quoi l'amour). Radio Plaisirs Country Station de Radio Country au Québec Nonseulement la psychanalyse s’est emparé de l’amour jusqu’à en faire sa chose mais, en en faisant sa substance, elle en a revêtu les traits, si bien que nous pouvons penser que la psychanalyse, c’est comme l’amour : ça se fait, ça se vit et le reste est littérature. Claude Le Guen 2 place de Seoul 75014 Paris doncdifficile de ne plus l’associer à l’interdit, et elle s’avérera alors frigide quand cette activité lui est permise. Freud note dans Le tabou de la virginité que « les jeunes filles disent souvent que leur amour perd à leurs yeux de la valeur si d’autres l’apprennent. »8 C’est ici la raison pour laquelle la capacité d’avoir des sensations normales est rétablie dès Cependant dans l’amour narcissique, c’est la certitude qui est le pivot du désir et du paradoxe du désir, lequel fait qu’on essaie de violenter, par crainte, ce qu’on désire. Car l’amour narcissique est un amour violent, sûr de lui-même, certain de l’agressivité supposée à l’autre ou au rival. Dans le Discours de l’errance amoureuse, J.-C. Carron nous dit notamment que Lamour, c'est quand on n'obtient pas tout de suite ce qu'on désire. Alfred Capus Aimer beaucoup, comme c'est aimer peu ! On aime, rien de plus, rien de moins. Guy de Maupassant L’amour, c’est comme l’été Il nous faut un automne pour le regretter. Joe Dassin. Le secret du bonheur en amour, ce n'est pas d'être aveugle mais de savoir nonton film siyah beyaz ask sub indo. Première constatation dans le ternaire amour-désir-jouissance en ordre alphabétique en français l’amour est le seul terme qui ne constitue pas un concept psychanalytique, voire un concept théorique tout court. Il s’agit néanmoins d’un terme universel largement répandu parmi de nombreuses disciplines La poésie le discours philosophique s’en sont emparé ainsi que la psychologie, la sexologie, l’industrie cinématographique, le marketing etc. Nous pouvons faire le constat que la plus part de fois c’est au nom de l’amour que l’on parle sans pour autant éclairer totalement le sujet sans effacer une part de mystère. Έρ ανίκαε μάχα » clame Antigone depuis son tombeau » où elle se trouve enterrée vivante. L’amour rentre-t-il dans des conceptions idéologiques ou conceptions du monde ? Peut-être ; le plus comique semble être sa prise dans le discours scientifique qui finit par nous donner l’impression de ne pas savoir de quoi on parle. Puis reste son exclusion sa forclusion du discours du capitaliste qui met au rencart les choses de l’amour. En quoi la psychanalyse et les psychanalystes s’autorisent à parler de l’amour alors que la psychanalyse n’est pas une conception du monde et l’amour n’est pas une théorie. Pour l’expérience analytique tout a commencé dans le cadre d’une contingence susciter l’avènement du discours de l’inconscient cela a eu pour effet de déclencher l’amour sous la forme de la passion amoureuse verliebtheit, à ceci près que Freud n’est pas tombé dans le panneau il n’a pas mis la réaction de Bertha Pappenheim surnommée Anna O sur le compte de son irrésistibilité personnelle » ! et contrairement à Breuer qui a réagi comme tout bourgeois moyen de son époque, face au retour de la signification refoulée. C’était un homme qui savait s’occuper des jeunes femmes séduisantes ! Mais lorsque Bertha lui attribua la paternité » de sa grossesse nerveuse il laissera tomber sa patiente en prenant la poudre de l’escampette tout en partant avec son épouse en second voyage de noces dont un nouvel enfant naitrait au bout de neuf mois ! Freud a dit commentant l’événement, qu’ il a laissé tomber les clés du paradis ». Il n’aura ainsi jamais franchi le mur de l’inconscient. Lacan procédera tout à fait autrement ? Outre son positionnement face à sa patiente Aimée » allias Marguerite Anzieu qu’il soutiendra jusqu’au bout, il entreprend une longue patiente élaboration afin de donner ses lettres de noblesse à l’amour en lien avec la psychanalyse tout en prenant tous les risques. Il a bâti, construit- déconstruit-reconstruit le terme à la suite de là où Freud l’avait laissé et où les post freudiens l’ont réduit à la répétition. Le transfert et l’amour du même nom se trouve du transfert en lien avec quasiment tous les concepts fondamentaux par rapport aux quels il s’articule et se noue se dénoue et recommence. Freud déjà parlait de echte liebe véritable amour et non pas une sorte de Canada dry », genre amour artificiel ou d’erreur sur la personne. Lacan a déjà réussi à extraire le transfert du concept de la répétition, voire reproduction d’amour infantile à l’adresse des imago parentales. Mais il ne s’arrête pas là, car il en extraira le nœud qui constitue la l’efficience même du discours analytique le Begrief essentiel du désir de l’analyste pivot de toute l’expérience et de toute transmission possible de la psychanalyse. Sa contribution est immense. Je ne m’en étais pas rendu compte à ce point, avant d’entreprendre ce travail passionnant ou j’ai failli m’y perdre dans les subtilités et les torsions les aller-retour les reprises, les équivoques voire les ambiguïtés. Cette construction tout le long d’un enseignement de plus de trente ans m’a mis devant un vaste chantier dont je n’avais, il est vrai mesuré la portée exacte. Me trouvant alors devant un nombre impressionnant de thèses, références et commentaires dont certains semblaient en contradiction les uns par rapports aux autres, j’ai décidé de limiter cette communication en la centrant essentiellement autour de deux moments significatifs de l’enseignement de Lacan le séminaire sur le Transfert où Lacan revient sur le nœud du transfert en commençant par un commentaire appuyé du Banquet de Platon, l’année même où il perd son père et le deuxième moment correspondant au très difficile séminaire charnière Encore. Pourquoi Lacan a déployé cette incalculable énergie en passant en revue une multitude d’occurrences sur l’amour en lien avec le désir et la jouissance et non seulement ? Sans doute pour dégager non seulement le phénomène et la structure du transfert mais aussi pour en situer l’enjeu éthique et élaborer ce que l’on appelle un nouvel amour » auquel finalement nous n’aurions d’accès que par l’analyse poussée jusqu’au bout. Ce nouvel amour existe-t-il vraiment ? Les psychanalystes seraient ils susceptibles de s’en emparer de s’y inscrire, voire de le vivre ? Rien n’est obligatoire bien sûr ; mais ce que je peux soutenir, c’est qu’il peut s’agir d’un pari et qui peut constituer une alternative au lien social pollué par le discours capitaliste. Gageons que d’ici la fin de cette année dans le cadre de cet atelier, et pas seulement, nous pourrions nous en faire une idée plus précise. Fonction Φ et présence réelle L’introduction du concept du grand Φ aura lieu au cours de ce séminaire sur le transfert ce qui représente un tournant dans la dialectique du phallus au même titre que l’invention du concept d’agalma[1]. Quatre mois plus tard le 19/4/61 il va relier le phallus dans la grande affaire de l’amour et du désir. C’est le seul signifiant qui mérite dans notre registre et d’une façon absolue le titre du symbole » parce qu’il intervient… quand manque le signifiant. C’est à dire lorsque la question se pose qui suis-je », ou bien que veux-tu ? » Il n’y a alors plus de réponse par la voie du signifiant ou du signe, mais seulement l’intervention de quelque chose qui vient marquer une présence réelle nommons-le Φ la présence même du désir ». Grand Phi ne rentre dans aucune catégorie ni signifiant ni signe ni symbole Il ne saurait être nommé car de le nommer, le rate. Il s’agit d’un symbole innommable. Pour autant cela n’empêche pas Lacan de repérer son registre clinique, C’est-à-dire perversion. En effet si grand Phi n’apparaît que dans les intervalles de ce que couvre le signifiant, Le fétiche lié à la perversion pourra spécialement bien l’incarner, car de même que grand Phi. Il réunit le signe, et le moyen d’action ». Dans l’exemple clinique d’Héloïse et Abélard, une histoire d’amour parmi les plus célèbres en Occident, celui-ci fut castré par deux hommes de main de l’oncle d’Éloise, après que celle-ci soit mise enceinte. Les deux amants en réponse à la castration d’Abélard auront joué sur l’ubiquité du phallus, misé sur le phallus comme présence réellement, réaffirmant cette présence réelle par-delà la castration physique d’Abélard. Comme la fondation du Paraclet[2] l’atteste, un couteau ne saurait venir à bout de cette présence réelle. Abélard n’aura pas été châtré, Abélard sera resté phallophore[3]. Le phallus est l’unité de mesure, où le Sujet accommode la fonction petit α, soit la fonction des objets de son désir. La formule de Rattenman qui est de son cru à propos du versement des honoraires dans l’analyse, Tant de rats tant de florins n’est qu’une illustration particulière de l’équivalence des échanges singuliers de ces substitutions, de cette métonymie permanente dont la symptomatique de l’obsessionnel est l’exemple incarné. Le rat symbolise, tient proprement la place de ce que j’appelle φ en tant qu’il est une certaine forme de réduction de Φ, et même la dégradation de ce signifiant ». Que rerésente Φ ? La fonction du phallus dans sa généralité pour tous les sujets qui parlent, et il s’agit d’apercevoir son statut dans l’inconscient, dans la symptomatologie de la névrose obsessionnelle cette fonction émerge au niveau conscient sous des formes que j’appelle dégradées. La mise en fonction phallique n’y est pas refoulée, c’est à dire profondément cachée comme chez l’hystérique. Le φ qui est là en fonction de tous les objets, comme le petit f de fonction d’une formule mathématique, est perceptible, avoué dans le symptôme. Comment préciser les fonctions respectives de grand Phi Φ, et petit phi φ Lacan a proposé d’articuler ce dont il s’agit dans la fonction Φ du phallus, en tant que cachée derrière son monnayage au niveau de la fonction φ La présence réelle[4] et insulte à la présence réelle Alors que veut dire le Φ ? Je le résume à désigner la place réelle en tant qu’elle ne peut apparaître que dans les intervalles de ce que couvre le signifiant ; de ces intervalles elle menace tout le système signifiant. L’obsessionnel nous le montre en tous points des mécanismes de défense projection, ou conjurations. C’est la façon qu’il a de combler tout ce qui peut se présenter d’entre-deux dans le signifiant. Et pourquoi ce besoin de combler l’intervalle signifiant ? Parce que là peut s’introduire ce qui dissoudrait toute sa fantasmagorie. Dans les 25 ou 30 symptômes de Rattenmann et de tout obsessionnel vous touchez du doigt la vérité dont il s’agit. Nous pouvons situer du même coup la fonction de l’objet phobique, qui n’est que la forme la plus simple de ce comblement. Cf. le petit Hans le signifiant universel que réalise l’objet phobique, c’est cela et pas autre chose. C’est à l’avant-poste, bien avant du trou, de la béance réalisée dans l’intervalle où menace la présence réelle, qu’un signe unique empêche le Sujet de s’approcher. Ce que le Sujet redoute de rencontrer, c’est une certaine sorte de désir qui serait de nature à faire rentrer d’avance dans le néant toute création signifiante, tout le système signifiant. On touche là à ce que l’on rencontre dans le fantasme de l’obsessionnel sous la couverture de l’oblativité Tout pour l’autre, dit l’obsessionnel t c’est bien ce qu’il fait car étant dans le perpétuel vertige de la destruction de l’autre il n’en fait pas assez pour que l’autre se maintienne à l’existence[5] ». Le fantasme fondamental de l’obsessionnel se joue selon Lacan sur le fondement de sa propre élimination par identification du sujet au α excrémentiel[6] Il est frappant d’entendre nombre de mères traiter leur bébé de crotte. Pourquoi le Phallus se trouve-t-il à cette place et à ce rôle ? Le phallus, en tant que l’expérience nous le montre n’est pas simplement l’organe de la copulation, mai qu’il est pris dans le mécanisme pervers. Cela fonctionne dans le cas de l’homosexualité masculine par exemple Le phallus se présente au niveau humain, entre autres comme le signe du désir. C’en est aussi l’instrument, et aussi la présence mais je retiens la qualité du signe. Un signifiant ne fait pas simplement signe à quelqu’un mais peut faire signe de quelqu’un, nous dit Lacan. Dans le moment pervers nous touchons à l’instance du phallus. Que le phallus qui se montre a pour effet de produire aussi chez le $ à qui il est montré l’érection du phallus ce n’est pas une condition qui satisfasse en quoi que ce soit, à quelque exigence naturelle[7]. Cf. instance homosexuelle. Que le phallus comme signe du désir se manifeste comme objet du désir, comme objet d’attrait pour le désir. C’est dans ce ressort que git sa fonction signifiante et c’est ainsi qu’il est capable d’opérer à ce niveau, cette zone, ce secteur, ou nous devons à la fois l’identifier comme signifiant, et comprendre qui est ainsi amené à désigner. Ce qu’il désigne n’est rien qui soit signifiable directement. C’est ce qui est au-delà de toute signification possible et nommément la présence réelle … pour en faire la suite de notre articulation[8]. Présence réelle et désir de l’analyste C’est à partir de cette supposition que Lacan va élaborer le concept du Sujet-supposé-savoir et la question du désir de l’analyste. En attendant Lacan nous dit que le problème du désir humain se situe dans un tout autre relativisme et il ajoute si nous devons être quelque chose de plus que le simple compagnon de la recherche du patient n’oublions jamais que le désir du sujet est essentiellement … le désir de l’Autre génitif à la fois subjectif et objectif[9] Pour autant le désir vise non pas l’objet mais le signifiant. La fonction de l’analyste consiste à pouvoir remplir sa place en tant que le sujet doit pouvoir y repérer le signifiant manquant Par un paradoxe qui est celui de notre fonction, c’est la place même sur le supposé savoir que nous sommes appelés à être, …, rien d’autre, que la présence réelle, et justement en tant qu’elle est inconsciente[10]. Comment se noue le désir et l’amour ? Pour Freud Eros est à la fois amour et désir, c’est à dire à la fois être et avoir dans la mesure où l’amour concerne l’être et le désir l’avoir. Pour Freud l’enfant aime le sein, aime sur son pot, alors que pour Lacan il n’aime pas le sein et il n’aime pas l’excrément où la personne à qui il le délivre tout simplement parce qu’aimer suppose que la différence entre avoir et être soit établie[11] La fable lacanienne des mains qui se rejoignent est équivalente à l’effet de la présence réelle du phallus Φ, ce qui confirme sa prise en jeu dans l’amour. L’exemple de Socrate et d’Alcibiade témoignent de la façon dont ce nouage s’effectue comme nous le verrons plus loin Tandis que Alcibiade s’efforce d’obtenir de Socrate un signe de son désir, mais aussi puisqu’il s’agit de Φ et non pas de φ un signe de la présence réelle donc, ce signe est innommable comme le phallus Eh bien Socrate ne le lui donne pas. Lacan se demande à l’époque si cette atopie de Socrate ne pourrait être la même que celle d’un psychanalyste. Un autre problème se pose qui est ceui de l’objet du désir en tant que dans la logique hégelienne, mais aussi celle de Sade, le désir conduit de la possession à la destruction de cet objet. Cet objet qui dans le fantasme incarne l’objet du désir se manifeste dans une image derrière laquelle il n’y a que manque. Lacan emploie la métaphore d’une ile comme inexplorée, et dont on n’apersçoit que les contours, contours d’un vide. C’est aussi la logique de l’agalma puisque l’objet du désir sort pas moins que du ventre» de Socrate. Le désir en tant qu’il conduit à la destruction cf. suicide de l’objet convient-il à l’amour ? Peut-être dans la clinique des passages à l’acte de certains patients, les analystes en font quelques fois les frais, mais la question véritable qui se pose ici c’est dans quelle mesure l’amour peut-il intevenir dans une optique moins dévastatrice. La thèse de Lacan est ici proche de celle de Platon La réalisation du désir n’est pas la possesion de l’objet, mais l’émergence à la réalité du désir comme tel. interroge la différence entre réalisation du désir et l’émergence de la réalité du désir comme tel. En somme la remarque de J. Allouch issue à la fois de la thèse mais aussi de la pratique même de Lacan, traduit tout cela par une formule incisive disant que il s’agit plutôt d’obtenir l’amour que l’on obtient pas».[12] Il en fait une approce topologique dans la mesure ou il pense qu’il s’agirait plutôt d’une place émergente, et non pas de l’objet qui, venant occuper cettte place, serait l’objet du désir réalisé. C’est donc par l’analyse de l’affaire Alcibiade et notamment par la scène finale que Lacan a choisi de nous conduire vers un autre chemin celui de la prise en compte de la question du sujet et de l’objet dans l’amour et le désir. Lacan associe ce qu’il appelle la déchéance de l’Autre, avec la nature de l’objet[13]. Cette thèse sur la déchéance de l’Autre est importante parce qu’elle résonne avec la proposition d’Octobre 67 sur le psychanalyste del’École six ans plus tard[14] Ensuite Lacan revient sur la question de la surestimation de l’objet d’amour, bien repérée chez Freud. Cette survalorisation n’a rien qui rappellerait une quelconque oblativité puisque son but est, comme l’épingle Lacan, de sauver somme toute notre dignité de Sujet[15] Nous pouvons constater au passage qu’au-delà de ces distinctions, cette vacillation de la déchéance entre amour et désir, entre autres, signale un flottement dans, ou par ce nouage même, ce qui rejoint la thèse platonicienne selon laquelle Amour et désir n’en font qu’un. Un exemple extrait du dialogue entre Socrate et Agathon Cet Amour dont tu parles, est-il ou non amour de quelque chose ? Aimer et désirer quelque chose, est-ce l’avoir ou ne pas l’avoir ? Peut-on désirer ce qu’on a déjà ? ». Lacan fait remarquer ici que ce qu’on aime dans l’histoire du Banquet c’est α παιδικά qui se conjugue au neutre pluriel ce n’est pas l’infantile mais les choses les êtres d’enfants aimés ». Cet être de l’autre dans le désir n’est point un sujet ερμένο ou plutôt ερών. Plus loin il précise que l’amour est articulé au manque, du fait que ce qu’il désire il ne peut en avoir que manque ». Dans le discours de Socrate qui passe la parole à Diotime, il attribue à Diotime une définition dialectique de l’amour, qui correspond bien à ce que lui a qualifié comme la fonction métonymique du désir. L’aimé serait celui chez qui le phallus et l’agalma sont également partie prenante. La métaphore de l’amour ou substitution de places amant /aimé Il est remarquable comment Lacan tisse le lien transférentiel analysant-analyste à partir de la position réciproque d’Alcibiade eromenos et Socrate erastés dans la fameuse scène où ils se retrouvent tous les deux à dormir ensemble. Et alors qu’Alcibiade s’attend à un signe d’amour de la part de Socrate, Socrate n’y fait rien. Il se soustrait à la position classique de l’érastes. C’est là que se produit l’effet de la métaphore de l’amour Du fait du retrait de Socrate une transformation s’opère chez Alcibiade qui, de la position d’éromenos, il se trouve dans la position de l’érastes. Dans le cadre de la cure cela équivaudrait à la position de l’analysant qui porte la demande. Toute demande étant demande d’amour l’analysant va chercher un, ou des signes chez l’analyste, qui témoignent de la reconnaissance, de la prise en compte, bref il se trouve en position d’aimé par sa demande, ce qui le rend souvent très aimable comme on dit. L’analyste qui reçoit cette demande est mis à la place de l’aimant susceptible de manifester des signes d’amour du fait même de la demande. Or on se souvient que Freud prônait déjà ce qu’il appelait une règle une attitude d’abstinence. L’analyste donc à l’instar de Socrate se soustrait de l’ obligation » de cette demande. Cette attitude fait produire une transformation dans la position de l’analysant qui, de la position de l’aimé, passera à celle de l’amant, poursuivant parfois avec insistance l’analyste de ses assiduités. Freud appelle cela la manifestation de l’amour de transfert phénomène qui surgit souvent dans la situation analytique. Socrate se trouve à la place de ηλειν Silène comme porteur des αγάλμαα et se refuse à l’échange des objets » contre quoi que ce soit entre autres, la beauté d’Alcibiade. Ainsi la métaphore de l’amour ne s’y réalise pas. Cette réalisation peut parfois advenir dans le sacrifice et la mort, comme ce fut le cas pour Achille et Patrocle. Ce refus de Socrate d’obtempérer à la demande d’Alcibiade, lui vaudra les invectives que ce dernier va lui adresser après son entrée fracassante dans la demeure d’Agathon où se trouvent les convives, lorsqu’il se présente à l’assistance presque ivre. Il vient bousculer la règle établie de l’éloge du Dieu Eros, et du convive se trouvant à la droite de l’orateur, et il décide de faire l’éloge de Socrate en se positionnant entre Socrate et Agathon. L’exigence d’Alcibiade n’est pas exempte d’une certaine position énigmatique, puisqu’il se savait aimé par Socrate. Exigence qui met en relief le mystère de l’amour autrement dit le nœud qui relie amour et désir. La position de Socrate n’en paraît pas moins énigmatique car refusant de répondre à cette manifestation amoureuse le lien entre amour et savoir restant en suspens, du même coup ce dernier devient désirable comme un objet agalmatique. En même temps par ce refus catégorique à se mettre dans la position d’éromène, déclarant que rien en lui n’est aimable il introduit un vide radical un ουδεν, Socrate donne ainsi une leçon sur l’amour en tant que celui-ci a finalement affaire à un savoir troué. Il avait déjà anticipé ce positionnement lorsqu’il passe la parole à Diotime dans son discours, avouant doublement qu’en matière d’amour il n’y a pas de savoir qui soit transparent, qui se sache lui-même. Le fait qu’il s’agisse d’une femme ne fait que redoubler l’effet de ce positionnement éthique. Lacan dira que c’est parce que Socrate sait qu’il ne sait pas qu’il n’aime pas » Il ne s’agit pas simplement de ne pas connaître quelqu’un pour l’aimer, ça c’est le cas général, en revanche ici il s’agit du rapport de l’amour au savoir y compris sur ce qu’est l’amour lui-même. Il y a un message socratique, note Lacan Ni effusion, ni don, ni mystique, ni extase. » Pourtant Socrate semble dénoncer une hypothétique tromperie Détrompe – toi, examine les choses avec plus de soin de façon à ne pas te tromper ». Socrate interprète » le discours d’Alcibiade en lui indiquant qu’il se trompe de cible ; car tout ce qu’il énonce à son intention ne le concerne pas lui-même, mais s’adresse plutôt à Agathon, qui vient de faire l’objet de l’éloge socratique. Agathon qui est l’hôte du Banquet est un jeune et riche dandy » aussi beau que con probablement du fait de s’embrouiller dans sa propre jouissance et rester ainsi figé à la place de l’objet aimable S’agit-il pour Socrate d’une dénonciation réaliste » de la tromperie de l’amour ? Ou bien cette interprétation vise à le conduire à suivre le chemin de son propre bien. Le principe platonicien de l’identité de l’objet du désir avec son bien, tire en l’occurrence les choses plutôt du côté de l’idéal, c’est à dire à l’opposé de l’acte que l’on attend d’un analyste. Il n’y a au fond aucune espèce de confusion possible ici, d’autant plus que, selon Lacan, l’objet agalmatique auquel Alcibiade semble tenir coûte que coûte dans la brume de l’ivresse, ne peut que se situer au-delà de tous les biens et tout idéal[16]. C’est ce qui fait dire à Lacan que c’est Alcibiade qui est dans ces circonstances l’homme du désir » d’un désir sans limites dans le champ de l’amour ce qui préfigure la dernière phrase du Séminaire XI où Lacan parle d’ un amour sans limites » c’est à dire hors des limites de la loi » oedipienne ? où seulement il peut vivre [17]». Cette scène nous met devant une sorte de leurre réciproque qui concerne également Socrate dans la mesure où lui-même semble méconnaitre la nature de l’objet agalmatique du désir. Pourrions-nous dire alors que Socrate en tant que sujet supposé savoir, a raison lorsqu’il pose un vide, un trou dans le savoir concernant l’amour, savoir qui reste exclu de faire savoir[18] , mais il a tort dès qu’il revendique un savoir sur l’amour ce que lui reproche Alcibiade ne laissant aucun temps à ce dernier afin de découvrir ce vide par lui-même. Cette division quant au savoir se manifeste également à partir d’un symptôme de Socrate sous la forme d’une courbature, symptôme survenu, selon le témoignage de Xenophon, après que le maître ait touché l’épaule nue du jeune Critobule, témoignage indiquant que l’amour présente chez Socrate un caractère un peu instantané » Ainsi Socrate empêche Alcibiade de jamais obtenir l’amour qu’on obtient pas [19]» Il est à noter que Lacan ne parle pas ici du lien de l’amour à l’inconscient qui s’établit par le moyen du signe entre deux sujets ce qui est différent des thèses du début de son enseignement sur l’intersubjectivité. Lacan affirme que Socrate, qui pourtant dit ne rien savoir d’autre que ce qui concerne l’amour et le désir, ignore ce que c’est que le désir de l’Autre. Le nouage amour-désir vient donc sur le devant de la scène avec cette citation de Lacan Car le désir dans sa racine et son essence, c’est le désir de l’Autre, et c’est ici à proprement parler qu’est le ressort de la naissance de l’amour, si l’amour, c’est ce qui se passe dans l’objet vers lequel nous tendons la main par notre propre désir, et qui, au moment où notre désir fait éclater son incendie, nous laisse apparaître un instant cette réponse, cet autre main qui se tend vers nous comme son désir. Ce désir se manifeste toujours pour autant que nous ne savons pas. Dans toute cette longue et fine élaboration de Lacan à travers les oscillations successives n’apparait pas clairement ce qui du désir ou de l’amour est premier voire plus précisément, si l’un subsume l’autre, sans oublier que la lecture assidue et méthodique du banquet visait initialement plus qu’à apprendre ce qu’est respectivement l’amour et le désir, de se faire une idée de l’amour de transfert comme vraie amour, et de la façon dont le désir de l’analyste y répond à cette demande de l’analysant, sans répondre à la demande. Enfin il me semble qu’il faut souligner l’importance que Lacan accorde à la question de la déchéance de l’Autre en l’objet agalmatique. Ce qui nous étonne toujours par sa pertinence c’est le choix d’un espace de fiction pour traiter ces questions cruciales. Fiction qui a la même structure que la vérité. Cette thèse lacanienne qui vérifiera encore à partir du Sém. XVIII et XX, où il est question de l’amour comme de la vérité en tant qu’ils surgissent du semblant. La théorisation de l’objet α que l’analyste élève à la dignité du semblant en y occupant la place, déplace l’approche du côté de la question de la jouissance. Pour le moment si nous revenons pour conclure sur le point de transposer la situation du Banquet à la situation analytique que pourrait-on déduire concernant la dialectique désir –amour, Autre-objet Nous avons Alcibiade qui, en position d’analysant, situe bien les agalmata dans le ventre de Socrate. Un savoir supposé entre Φ et αγαλμα est localisé chez Socrate analyste fictif. Mais cela suffirait-il pour que le savoir inconscient sur son désir, qui fait déchoir l’Autre à la place de l’objet puisse lui révéler sa propre prise dans le fantasme ? Par ailleurs notre Socrate analyste fictif se refusant de donner des signes de son désir, voire de répondre à la demande d’amour de l’analysant fictif Alcibiade, incarne par son discours la place de n’importe qui, ce qui est préconisé pour l’analyste. Ne reste-t-il néanmoins quelqu’un ? comment pourrait-il dans ce cas assumer une position de désêtre tant qu’il n’y a pas eu d’extraction de l’objet ? Ce n’est pas tout, car l’interprétation socratique du transfert dans le cadre de la réalité renvoi d’Alcibiade à Agathon comme objet réel de son discours enflammé court-circuite le déplacement topologique vers l’émergence de la réalité du désir comme tel. Rappelons ici que Lacan précise, que ce n’est pas l’objet que viserait le désir qui importe, mais plutôt le signifiant grand Φ appelé à cette place vide, tout en la maintenant comme telle puisque ce signifiant annule tous les autres. Ainsi in fine l’analyste » Socrate ne permet pas à l’analysant » Alcibiade d’échapper à la répétition de la demande ce qui le conduit à n’envisager la déchéance de l’Autre A en petit α autrement que sur le mode sadien, restant aliéné au désir de l’autre à qui il faudrait ouvrir le ventre pour extraire l’agalma. Lacan préconise une alternative, seule possible permettant d’instaurer le discours analytique Il faut savoir remplir sa place en tant que le sujet doit pouvoir y repérer le signifiant manquant. Et donc par une antinomie, par un paradoxe qui est celui de notre fonction, c’est à la place même où nous sommes supposés savoir que nous sommes appelés à être et à n’être rien de plus que la présence réelle et justement en tant qu’elle est inconsciente. Au dernier terme, … à l’horizon de ce qu’est notre fonction dans l’analyse en tant que ça, ça justement qui se tait en ce qu’il manque à être. » Revenons un instant à la thèse de Lacan concernant la chute de A en petit a. Grand A c’est l’Autre à qui s’adresse la demande d’amour, mais ce que recouvre cette demande c’est cette déchéance en α quelque chose de la nature de l’objet ». C’est l’amour qui dissimule finalement cette visée. Alcibiade par son discours vise la déchéance de Socrate mais ne l’obtient pas car celui-ci refuse l’amour au même titre qu’il refusait d’adresser un signe du désir sous le manteau. Deux remarques s’imposent Première remarque Il n’y a pas d’amour pur c’est à dire non contaminé du désir. Deuxième remarque c’est le statut de l’objet qui pose problème ici me semble-t-il et qui empêche de bien distinguer amour et désir. Car la première distinction de l’amour comme ayant affaire à l’être, et le désir à la satisfaction, ne me semble pas tenir, dans la mesure où Lacan dit que même le désir participe de l’être. Il me semble en revanche que dans ce séminaire c’est le statut de l’objet en tant qu’objet α et le rapport entre le Phallus et l’objet, α qui ne sont pas suffisamment dégagés. Les choses seront éclaircies à partir du moment où l’objet α ne sera plus l’objet du désir au sens d’objet visé par, visé en avant de… comme l’indique l’étymologie du terme ob-jet. La notion de l’objet cause du désir et ensuite l’objet plus-de-jouir prendront le relais de cette approche, tandis que le statut de l’objet sera défini comme objet aperceptif non spécularisable De l’amur obstacle à la lettre d’amour Si nous reprenons à notre compte la fameuse citation de Lacan selon laquelle seul l’amour permet à la jouissance de condescendre au désir[20] ». Sans commenter plus avant cette thèse nous pourrions poser à minima que l’amour implique la castration. Plus précisément si nous prenons le pôle androcentrique nous dirons avec Lacan que l’amour d’une femme castre l’homme. Lacan s’interroge comment l’aimée peut en jouer voire en jouir ? Lacan L’Autre, entendez – le bien, c’est donc un entre, l’entre dont il s’agirait dans le rapport sexuel, mais déplacé et justement de s’autreposer [21] Lacan de s’autreposer, il est curieux qu’à poser cet Autre … ne concerne que la femme. Et c’est bien elle qui, de cette figure de l’autre nous donne de l’illustration à notre portée, D’être comme l’a écrit un poète entre centre et absence. Entre le sens qu’elle prend dans ce que j’ai appelé c’est au moins -un où elle ne le trouve qu’à l’état de ce je que je vous ai annoncé, pas plus, de n’être que pure existence, entre centre et absence. » et il poursuit Son monde de présence est entre centre et absence, entre la fonction phallique dont elle participe, singulièrement, de ce que l’au moins -un qui est son partenaire, dans l’amour, y renonce pour elle. Ce qui lui permet, à elle, de laisser ce par quoi elle n’en participe pas, dans l’absence qui n’est pas moins jouissance, d’être jouissabsence » Voici donc l’amour, castrateur de son partenaire, et l’amour qui est bien ici l’amour, qui n’est ni le désir ni la pulsion. Sa renonciation à la fonction phallique Sa castration » entérine, cautionne, voire légitime, chez sa partenaire une certaine jouissance, sa jouissance même de s’absenter de la fonction phallique– Celle qui vaut que soit inventé un autre néologisme Jouissabsence. Qu’un homme réserve pareil accueil à la jouissabsence ne semble pas acquis. Peut-être certains féministes peuvent dénoncer ce prototype androcentrique, mais Lacan répondra à leurs objections Ne croyez pas que La barrée, femme ne convoque pas son homme-moins-un » à donner corps à la fonction phallique ; mais sachez que cette plus ou moins pressante convocation peut valoir contresens si elle laisse à croire que la jouisseprésence de la femme va, sans être accompagnée de sa jouissabsence » Jean Allouch y relève un trait de structure en lien avec la clinique de ce qu’il appelle la dureté féminine que l’on rencontre chez certaines femmes, et qui semble-t-il n’est pas fréquent chez celles qui ont choisi l’analyse. Y aurait-il une sorte de miracle qui fait évanouir cette dureté ? J. Allouch le confirme, en expliquant que cette dureté apparaît comme une réponse réactive au fait de n’avoir pas reçu la moindre reconnaissance de cette jouissabsence qui fait une femme pas – toute à la fonction phallique. Lacan, lui, parle d’hommage, terme qu’il affectionnait particulièrement[22]. Cette forme d’amour castre l’homme et lui fait ainsi rendre hommage à la jouissabsence de la femme pas-toute. Sur la question de l’amur je vais abréger l’historique du lapsus de Lacan dans son rappel des vers d’Antoine Tudal, qui présente l’amour comme obstacle au non-rapport sexuel il faut néanmoins signaler au passage que sur le plan de la topologie Lacan situe le rond de l’amour » dans la configuration de la bouteille de Klein à l’embouchure de la bouteille, au point de rebroussement dans un schéma que l’on trouve également dans l’Amour Lacan Il existe selon Lacan un isomorphisme de structure entre le fait qu’un Signifiant S1 n’atteint jamais l’autre signifiant S2 auprès duquel il représenterait le sujet[23] et le fait qu’un homme n’atteindrait jamais la une femme et ce qui l’en séparerait serait l’amour, conformément au lapsus L’amour peut alors se dire a- mur puisque quand même comme un mur, de langage si ce n’est du langage, il s’interpose, Il fait barrière entre L’homme et la femme. Ce pas est franchi grâce à la bouteille de Klein. Il s’agit de plus que d’un isomorphisme. Ce serait une seule et même opération que de ne pas atteindre la femme et de ne jamais atteindre S2. le savoir. Lacan déclare … Ça commence entre l’homme dont personne ne sait ce que c’est, entre l’homme et l’amour il y a la femme … et ça devrait se terminer à la fin, à la fin il y a le mur entre l’homme et le mur il y a justement …l’amour, la lettre d’amour … c’est la lettre qui peut prendre d’étranges formes[24] » Aimer à À propos de la lettre d’amour au sens d’épistole Lacan déclare dans une lettre adressée à une femme qu’il a commis un lapsus calami[25]. À la faveur de ce lapsus il déclare qu’il préfère employer l’expression aimer à une femme, plutôt qu’aimer une femme qui pour lui resonne comme battre une femme Encore, nom de l’amour Séminaire charnière où Lacan condense de façon extrêmement travaillée et présentée sous une forme aphoristique un ensemble de thèses impliquant la question de l’amour en lien avec les catégories lacaniennes forgées tout le long de son enseignement dont la catégorie de la Jouissance n’est pas la moindre. La jouissance est toujours pour Lacan une instance négative[26] » la jouissance c’est ce qui ne sert à rien ». Nous pourrions en déduire bon alors c’est fini ; rentrons chez nous. Prenons la mesure car le surmoi s’en mêle, et c’est l’impératif – Jouis ! Auquel nous avons affaire. Au-delà de ce qui en détermine l’usage si non l’exercice comme dira Lacan La philosophie Aristote Bentham et le Droit s’y sont employés. Résultat tous ces discours autour de la jouissance n’enserrent qu’un vide. Rien ne nous dit ce que serait la jouissance. Alors Lacan, avec la psychanalyse, s’en mêle Lacan renvoie son auditoire par supposition au lit comme à un exercice de plein emploi, à deux, ce qui est une façon condensée de nouer amour, désir, et jouissance, autour de l’impossibilité du rapport sexuel. Première thèse importante avec une torsion finement ciselée La jouissance de l’Autre, de l’Autre avec un grand A, du corps de l’Autre qui le symbolise n’est pas le signe de l’amour[27] » Ce qui est caviardé dans la version du Seuil mentionne qu’elle La Jouissance est néanmoins la seule réponse donnée à l’amour et qui de ce fait la Jouissance reste une question, dont la réponse n’est ni nécessaire, comme l’amour ?, ni suffisante. L’amour toujours réciproque, comme passion d’ignorance du désir de faire un n’en laisse pas moins toute sa portée au désir. La jouissance est réponse insuffisante par rapport à l’amour dans la mesure ou à l’amour est incomblable, comme la faille de l’Autre, d’où part la demande d’amour, qui est sans doute demande incomblable d’être, demande encore et encore au point ou encore devient le nom propre de cette faille de l’Autre. Cela pose la question de savoir si nommer la faille de l’Autre équivaut à la nomination de l’Autre et comment l’amour de transfert analytique peut –il conduire jusqu’à cette nomination ? Alors d’où part ce qui est capable de façon non nécessaire et non suffisante de répondre par la jouissance du corps de l’Autre ? Ça part de l’amur[28]. Ces traces sur l’amur ne sont pas d’ordre sexuel, ce sont des signifiants primaires, des S1 ; il y a lieu de les associer à l’opposition entre soma et germen. Le germen concerne la reproduction de l’espèce, il est immortel contrairement au soma. L’amour y trouve là une connivence mythique car l’aimant est la proie du germen.[29] Ainsi l’amour n’a pas affaire avec de l’individualité, il est éternel, ou bien êtrernel ; Cela reste toujours une affaire d’être, de rapport entre les êtres, hors sexe comme l’indique l’exemple de la perruche amoureuse de Picasso, ou plutôt de son propre accoutrement, l’habit aime le moine c’est par là qu’ils ne sont qu’un[30] dira Lacan. La perruche s’identifiait à Picasso habillé. Cette image comme toute image ne se soutien que d’un reste, objet α, reste du corps[31] sous l’habit. Ceci est cohérent avec l’essence narcissique de l’amour, et ici Lacan tranche définitivement avec, ou plutôt contre l’idée d’amour objectal, ou anaclitique de Freud, disant que c’est du baratin qui favorise l’idée non moins saugrenue de génitalité oblative s’offrir à l’autre à la portée du fantasme du premier obsessionnel venu. Dans le désir ce reste est l’objet α qui le cause et le soutient. Comment ? chez l’hystérique par la modalité de l’insatisfaction et chez l’obsessionnel par celle de l’impossibilité. En revanche l’impuissance de l’amour même s’il est toujours réciproque,[32] tient à l’ignorance. Ignorance d’être[33] le désir d’être Un, ce qui nous conduit à l’impossible d’établir une relation d’eux. La relation d’eux qui ? deux sexes. Pour qu’il y ait rapport il faut au minimum trois a, b, + l’élément connecteur[34] Faut-il préciser sans doute que nous avons affaire avec deux Un, différents l’Un de la fusion l’Unfusion, l’amour c’est faire Un vereinigung de l’Éρο freudien et le Un du Il y a dl’ Un défini par la faille, [35] faille qui dénote ce qui manque à l’être, et derrière l’être, à la jouissance. L’être, c’est la jouissance du corps comme tel … comme asexué[36] c’est à dire comme objet α être a-sexuée, jouissance qui se joue une fois dépouillés les caractères secondaires et autres traces qui ornent le corps. Par conséquent la jouissance sexuelle s’oppose à la jouissance du corps de l’Autre[37]. Pour C. Fierens[38] c’est le discours analytique qui démontre la structure de la jouissance 1 le corps ou en-corps est l’objet α le Sujet un peu bête » qui ne sait, ni qui il est, ni comment cela se passe, me » questionne, avant que je» ne sois, et ce questionnement produit un signifiant, c’est tout cela qui produit la jouisance. L’Un, dépendant de l’essence du signifiant, est un effet, un produit de celui-ci, comme dans le discours analytique, qui produit du S1, c’est à dire un signifiant séparé de ce qu’il signifie, signifiant asémantique, le trait unaire ne signifie rien, du S2, du savoir. Si l’Un c’est le signifiant et l’être l’objet α, la jouissance n’est-elle pas ce qui dialectise les deux ? Le désir d’être Un redouble-t-il le faire Un de l’amour. Dans tous les cas ni l’amour, ni la lettre d’amour, n’ont pour signifié le rapport sexuel. Si, comme le soutient Lacan, l’être c’est la jouissance du corps comme tel asexué, il est impossible d’établir comme tel, nulle part énonçable, l’Un de la relation rapport sexuel. Côté homme la jouissance phallique est plutôt un obstacle, car l’homme jouit seulement de la jouissance d’organe, et non pas du corps de la femme. L’impératif surmoïque Jouis ! Devoir de jouissance, est corrélatif de la castration, révèle la faille, le trou qui existe entre jouissance du corps de l’Autre et rapport sexuel. Le paradoxe logique de Zenon[39] à propos d’Achille qui ne pourra jamais rejoindre la tortue dans sa course, bien qu’étant plus rapide ou à cause de ce fait … c’est parce que Briséis, n’est pas toute à lui. La Jouissance du corps de l’Autre ne se promeut que de l’infinitude[40] » La jouissance sexuelle étant phallique espace fermé, elle ne se rapporte pas à l’Autre comme tel espace ouvert. Thèse le signifiant se situe au niveau de la substance jouissante, cela vaut pour la jouissance d’un corps[41], il est la cause de la jouissance cause formelle, mais il en est en même temps le coup d’arrêt, sa limite. Le signifiant du côté de la jouissance et le signe du côté de l’amour, indique qu’on baise avec du signifiant et qu’on s’aime avec des signes. Lacan délimite les jouissances côté homme ce que celui-ci aborde est l’objet α cause de son désir[42] tandis que côté femme, c’est d’une jouissance supplémentaire qu’il s’agit » cette jouissance à elle qui n’existe pas, La, barrée et ne signifie rien, dont elle ne sait rien, sinon qu’elle l’éprouve. C’est la face Dieu de l’Autre comme supportée par la Jouissance féminine, celle dont Lacan dit que s’il y en avait une autre, il ne faudrait pas que ce soit celle-là, mettant en série la faille la faute et la culpabilité[43] La conclusion est qu’il n’y a pas deux jouissances, mais qu’il n’y en a pas non plus qu’une. Le tableau de la sexuation n’est pas une répartition entre les deux sexes, mais un lieu d’inscription pour la sexuation, ce qui implique le parcours de l’ensemble des formules pour chacun, sans compter que côté femme il y a un dédoublement, puisque de n’être pas toute, ne la dispense pas d’avoir un rapport avec Φ le signifiant Nous pourrions nous référer ici à la parole d’amour, qui est déjà une jouissance, que l’on rencontre aussi bien dans le discours analytique que du côté du féminin, alors que parler d’amour, pour le discours de la science équivaut à une perte de temps. Pour autant c’est aussi la règle analytique car en disant n’importe quoi, des bétises, on rencontre la question de l’Autre. Après tout c’est de là que la psychanalyse a surgi l’objectivation de ce que l’être parlant passe encore du temps à parler en pure perte. Lacan se réfère à l’âme partant du concept Aristotelicien, et se demande si ce n’est pas un effet d’amour qu’il écrit hommosexuelle l’ame, âme l’âme, est purement réciproque et ne concerne pas le sexe, mais plutôt la structure narcissique de la pulsion partielle prégéniale. la bouche qui essaie de se baiser elle même l’âme est étrangère, opposée au désir tout comme l’objet α est irréductible au désir. Si les femmes peuvent aussi être âmoureuses, elles aiment aussi dans leur partenaires un objet α, et se situent du côté gauche du tableau. Lacan parle dans ce cas de Υερον Hysteron qui signifie le terme ultime dernier mais aussi reste, objet α, une femme aimante est essentiellement une hystérique elle se même dans l’Autre[44] » dit Lacan Une autre référence à Aristote est la φιλία, lien d’amour entre φίλοι, les amis, qui se reconnaissent et se choisissent. C’est une éthique horsexe y compris pour l’hystérique qui fait l’homme » Reste la question du rapport de l’amour au savoir inconscient. Si l’amour est affaire de signe qui au sens logique renvoie à un lien entre deux inconscients, qu’en est il au niveaudu rapport de chacun en lien avec son propre inconscient. Alors ce nouvel amour que Lacan emble appeler de ses voeux serait-il du côté d’un lien au savoir de l’inconscient après la traversée du fantasme, la destitution subjective, et le désêtre de l’analyste ? Quel serait le statut de ce savoir particulier pour un sujet, voire pour un lien soial nouveau ? Un amour athée ? Pour commencer cette approche il faut se souvenir que le Dieu d’Empedocle entre autres s’avère l’être le plus ignorant de tous les êtres puisque s’il ne connait pas la haine on se demande comment pourrait-il connaitre l’amour ? Fabienne Guillen notes [1] Séance du 21 Décembre 61 dans la prestation d’Aristophane Platon pour la seule et unique fois fait entrer en jeu dans un discours, et un discours concernant une affaire grave celle de l’amour, l’organe génital comme tel ». [2] Paraclet du grec Παράκληον renvoie à la parole du Christ lorsque celui-ci annonce à ses apôtres et disciples ce qu’il adviendra après sa mort annoncée prochainement et signifie quelqu’un qui intercède, qui est appelé à son secours, ou qui exhorte et encourage. Le Paraclet fut une abbaye de femmes construite par Héloise Abelard y fut enterré ainsi qu’Héloise [3] Allouch Jean L’amour Lacan Paris EPEL 2009 p. 151 [4] Homonymie avec dogme religieux cf. l’eucharistie Exemple de phénoménologie obsessionnelle d’un cas de femme qui surimposait les organes masculins à la place de l’hostie. Surimposition de ces organes en forme signifiante à quoi ? – sinon à ce qui est de la façon symbolique la plus identifiable, la présence réelle. Il s’agit cette présence réelle de la réduire, de la briser de la broyer dans le mécanise du désir fantasme sacrilège. [5] Lacan J. Le transfert Sém. Séance du 15 Mars 1961 p. 241 [6] Ibid [7] Le transfert p. 307 [8] Séance du 26/4/1961 [9] Désir à la place où est l’autre, désir pour pouvoir être à cette place –et désir de quelque altérité. [10] Le transfert [11] Ce qui logiquement ne peut avoir lieu qu’à partir de la phase phallique. [12] J. Allouche l’amour Lacan [13] Citation de Lacan Toute la question est de s’apercevoir du rapport qui lie cet Autre auquel est adressé la demande d’amour avec l’apparition de ce terme du désir entend qui n’est plus du tout c’est autre notre égal cette autre auquel nous aspirons c’est Autre de l’amour mais qu’il est quelque chose qui, en représente à proprement parler une déchéance–je veux dire quelque chose qui est de la nature de l’objet. » séance [14] Remarque de J. Allouch [15] Citation Lacan ce dont il s’agit dans le désir c’est d’un objet, non d’un sujet. C’est justement ici que gît ce qu’on peut appeler ce commandement épouvantable du dieu de l’amour qui est justement de faire de l’objet qu’il nous désigne, Le prochain, donc, quelque chose qui premièrement est un objet et, deuxièmement, ce devant quoi nous défaillons, nous vacillons, nous disparaissons comme sujet. Car cette déchéance, cette dépréciation dont il s’agit, c’est nous comme sujet qui l’en-caissons. Et ce qui arrive à l’objet c’est justement le contraire, c’est à dire …, et survalorisé et c’est tentant qu’il est survalorisé qu’il a cette fonction de sauver notre dignité de sujet. » [16] Lacan J. Les quatre concepts fondamentaux, Seuil Paris 1973, [17] Ibid p. 248 [18] Expression de J. Allouch L’amour Lacan EPEL Paris 2009 [19] Ibid [20] Lacan séminaire l’Angoisse [21] J. Lacan …ou pire séance du 8 Mars 1972 cité par J. Allouch [22] cf. L’hommage à Marguerite Duras, qui, elle, ne semblait pas l’apprécier autant. [23] Ce qui semble nié au dernier séminaire de Lacan la topologie et le temps Le S2 ne représente pas le sujet. [24] J. Lacan …ou pire, séance du 3 Fév1972 [25] Aimer à quelqu’un moi ça m’a toujours ravi je veux dire que je regrette de parler une langue on dit je t’aime une femme, Comme on dit je la bats. Aimer à une femme ça me semblerait congru. Sainement. Quand jour je me suis aperçu que j’écrivais tu ne sauras jamais combien je t’ai aimé. J’ai pas mis le fin ce qui était lapsus une faute d’orthographe si vous voulez, Incontestablement. Mais c’est en y réfléchissant justement que je me suis dit que Je suis j’ai écrivais ça comme ça c’est parce que je devais se sentir j’aime à toi bon mais enfin, c’est personnel. » Dans la fameuse phrase de Paul Valery citée par Lacan nous avons cette double négation Je suis à la place d’où se vocifère que l’univers est un défaut dans la pureté du Non Être » [27] J. L. Séminaire Encore version Seuil Paris 1975 [28] Il faut effacer la phrase ce n’est pas l’amour » qui n’existe que dans la version du Seuil. [29] Jean Allouch [30] Encore [31] Corps qui ne correspond à aucune réalité biologique. [32] Son essence narcissique fait croire que celui ou celle que j’aime, m’aime [33] Version de ALI qui diffère de celle du Seuil [34] Encore [35]Comme l’opération qui introduit les nombres entiers à partir l’ensemble zéro de Frege qui compte pour un et qui fonde la série [37]C. Fierens lecture de Encore [38] Ibid. p. 34-35 [39] L’espace compact est un espace fermé Achille et ses petites expériences phalliques en deçà du rapport se situe toujours à l’intérieur d’une limite Lacan sur un nombre fini d’ensembles il en résulte que l’intersection existe en un nombre infini [40] Encore [41] Jouir du corps est un génitif qui indique que c’est l’Autre qui jouit Encore [42] Ce qui indique l’impossibilité de jouir du corps de l’Autre L’acte d’amour c’est la perversion polymorphe mâle cf. le discours freudien Encore [43] Remarque de C. Fierens in Lecture de Encore [44] Elle joue sa partie côté masculin avec la coalescence du α et du S A barré Le but de la psychanalyse est de libérer les patients des obstacles et des barrières imaginaires psychiques qui les empêchent de vivre pleinement leur vie d’homme et de femme. Ceux qui ont fait une psychanalyse se sentent moins empêchés et vivent plus en accord avec leur désir, c’est le constat que font le plus souvent nos patients. La plupart d’entre eux ont vu leur vie transformée par l’analyse, mais ils ne peuvent pour autant se dire guéris ». Dans ce domaine, ce ne sont pas des affections » que l’on soigne comme une grippe. Le changement qui s’opère n’est rien d’autre que la transformation existentielle du sujet. Read more articles La psychanalyse, tout le monde le sait, a pris son essor au XIXe siècle, dans le sillage d’un certain Sigmund Freud. Tout le monde a entendu parler de la psychanalyse, certains en ont commencé une, bref, c’est devenu au fil du temps une technique relativement banale. Pour autant, bien peu de gens à mon avis arrivent à cerner le but de cette ce but est, du moins en théorie, facile à comprendre y parvenir, c’est une autre paire de manches ce but est que le psychanalysé arrive à s’accepter tel qu’il est et non tel qu’il se fantasme par sa propre imagination, ce qui crée inévitablement des conflits lorsque l’individu se heurte à la réalité. En gros, il ne s’agit pas tant de se débarrasser de ses casseroles » que de les accepter, d’accepter enfin de vivre avec, de les admettre comme faisant partie de soi, de ne plus tenter de les enfouir à tout proverbes illustrent cette démarche I forgive but I don’t forget » je pardonne mais je n’oublie pas ; S’aimer, c’est parvenir à pardonner à l’enfant que nous avons été ».La démarche analytique est donc un apprentissage parfois long et douloureux mais salvateur de l’amour de soi. S’aimer n’est pas du tout une démarche narcissique, bien au contraire. Le but n’est pas ici de flatter son ego, mais de tendre à ne pas se surestimer, ni se sous-estimer. Ça paraît simple, n’est-ce pas ? Mais si c’était si simple que ça en pratique, alors il y a fort à parier que les psychanalystes n’existeraient plus depuis belle lurette. Donc, facile à dire oui ; facile à faire ? C’est loin d’être raison en est facile à comprendre pour se protéger, la plupart des gens dépensent une énergie parfois considérable à élaborer un personnage, une sorte de façade, un déguisement en somme, qu’ils n’enlèvent qu’une fois qu’ils sont seuls et certains de ne pas être dérangés sous leur douche ou dans leur lit de célibataire. Ce faisant, ils entrent plus ou moins consciemment dans une démarche de séduction, un jeu tentant en permanence de se montrer sous leur meilleur profil, allant même jusqu’à se créer des mythes lors de certains échanges Oui, heu, moi, je suis plutôt comme ci ou comme ça, etc. ». Ils vivent donc du moins socialement dans un paraître très souvent éloigné de leur réalité, une fois le soir de fois n’avons-nous pas entendu la phrase Jamais je n’aurais pu imaginer que X ou Y pouvait être comme ça ! » si ou quand, par malheur, le pot-aux-roses est dévoilé un jour. Eh bien, le but de la psychanalyse est d’amener l’individu à ne plus rejeter par le déni qui il est, mais au contraire de ne chercher ni à masquer, ni à cacher tous les aspects de sa personnalité en tout premier à lui-même et, éventuellement, de ne pas avoir peur de se montrer tel qu’il est aux yeux des clair, la psychanalyse tend à amener le psychanalysé à changer de logiciel, se débarrassant du jeu à paraître » au profit de simplement être ». C’est très compliqué pour ces gens habitués à leur image » et sensibles avant tout au regard et au jugement des autres, toujours dans l’optique du personnage mythique qu’ils se sont construit au fil du point essentiel dans tout ça et que je retiens, c’est l’amour. Car comment peut-on espérer aimer les autres si l’on n’arrive pas à s’aimer soi-même ? Et ici encore, la définition tolstoïenne de l’amour prend toute son ampleur et sa pour la psychanalyse. Rendez-vous bientôt pour le troisième chapitre La liberté ». Alain Crémades Olivier Verley, La Chambre du secret, photographies Olivier Verley, texte Eric Chevillard, Grâne, Creaphis Éditions, 2010, 104 pages1Livre en main, quand j’en ai lu le sujet, ma première pensée a été mais alors ce n’est plus un secret ». Car, à l’instar des Indiens d’Amérique, je pense que la photographie peut voler l’âme du sujet. Par-delà la fugacité de l’instantané ou le conformisme de la pose, l’art du portrait va bien au-delà de la représentation. Dorian Gray l’a appris à ses dépens. Et c’est là qu’Olivier Verley rejoint les maîtres anciens il a demandé aux 46 personnes dont les portraits illustrent le livre de poser pendant quatre longues minutes, pensant à un secret de leur vie, seuls devant l’œil grand ouvert de l’objectif. Seuls devant notre œil, qui a tout son temps. Certains de ces regards, comme le note Eric Chevillard, poétique auteur de l’introduction, nous fixent avec ironie ou défi, d’autres avec effroi. Mais les plus mystérieux, les plus poignants sont bien ceux qui s’offrent sans hésitation yeux grand-ouverts, regard droit. Ils résonnent comme leurs lointains et anciens cousins du Fayoum ils nous livrent tout simplement l’insondable secret de la vie. 2Béatrice MontamatRobert Harris, Enigma, Paris, Plon, 1996, 321 pages3L’Anglaise Hester Wallace n’avait jamais [su] si le [Daily] Telegraph avait lancé le concours [à] l’instigation du ministère de la Guerre, afin de repérer les hommes et les femmes [du] pays qui avaient une aptitude pour les énigmes, ou si c’était un petit malin du ministère qui avait vu les résultats du concours et demandé au journal la liste des finalistes ». 4Quoiqu’il en soit, Hester, ayant participé à ce concours de mots croisés à l’automne 1942 et l’ayant gagné, reçut une lettre portant le cachet des services de Sa Majesté et fut affectée au centre ultrasecret de Bletchley où des hommes et des femmes travaillaient sur les codes des machines de chiffrement Enigma. Celles-ci, électromécaniques et portables, estimées à une bonne centaine de milliers d’unités à travers le monde, étaient utilisées par le Reich pour communiquer en particulier avec ses sous-marins sillonnant l’Atlantique. 5À Bletchley, Hester fait la connaissance de Thomas Jericho, le plus doué des décrypteurs d’Enigma qu’il considère comme un chef-d’œuvre du génie humain [créant] à la fois le chaos et de minces rubans de sens ». Ce personnage pourrait être inspiré d’Alan Turing – l’un des pères fondateurs de l’informatique – si Alan Turing n’était cité à plusieurs reprises dans le roman et si notre héros n’était pas amoureux d’une femme mystérieusement disparue. C’est pour Claire Romilly qu’il entraîne Hester, amie de cette dernière, dans une aventure à rebondissements – ils découvriront ainsi, grâce à une Enigma entreposée parmi des prises de guerre, le secret bien gardé du massacre de Kathyn – tout au long de chapitres aux titres sibyllins Murmures », Capture », Baiser », Crible », etc. pour qui ne connaît pas encore Le Lexique de cryptographie top secret de Bletchley Park. 6Les énigmes générées par les machines Enigma ont servi de thème à plusieurs films de cinéma comme Enigma de Jeannot Szwarc 1983 et U-571 de Jonathan Mostow 2000. Le dernier en date Enigma, 2001, avec Kate Winslet et Dougray Scott a été réalisé par Michael Apted qui s’est inspiré de ce roman de Robert Harris – auteur dont Roman Polanski adaptera dix ans plus tard The Ghost pour en faire The Ghost writer. 7Laurence MotoretJérôme Ferrari, Le Sermon sur la chute de Rome, Arles, Actes Sud, 2012, 202 pages8 Le monde est comme un homme il naît, il grandit, il meurt ». C’est sur cette citation tirée du sermon que prononça saint Augustin en 410, au moment de la chute de Rome, que se bâtit le remarquable roman de Jérôme Ferrari. Un roman sombre et plein d’espoir, à la fois tendre et cruel, drôle et terrifiant, philosophique. 9Deux jeunes Corses, Matthieu et Libero, qui font leurs études de philosophie à Paris, Matthieu sur Leibniz et Libero sur saint Augustin, décident de les abandonner pour redonner vie à un café dans leur village natal. Ils pensent y créer le meilleur des mondes possibles ». Tout commence dans les meilleures conditions mais petit à petit les choses se détériorent. Nous suivons donc leur cheminement… jusqu’à l’effondrement de l’utopie dans des conditions particulièrement terribles. Ce que l’homme fait, l’homme le détruit » et nous assistons effectivement, effarés, à la chute vertigineuse du monde qu’ils ont tenté de créer et qu’ils détruisent inexorablement. 10Les nombreux articles qui sont parus après qu’il a reçu le Prix Goncourt mentionnent très peu l’écriture qui pourtant participe grandement à la valeur de cet ouvrage. D’abord les titres des différentes parties, tous tirés du sermon, qui servent de fil conducteur. Ensuite, le sermon présenté astucieusement à la fin, qui interpelle le lecteur et l’oblige à revenir sur des passages qu’il éclaire. Enfin et surtout, les phrases étonnamment, nécessairement longues qui vous mènent jusqu’où elles ont décidé de vous mener sans que vous ayez le temps de reprendre votre souffle. C’est du grand art ! 11 Le monde passe des ténèbres aux ténèbres », on pense à Bernanos… et on se dit qu’entre les ténèbres et les ténèbres il y a, quand même, la vie. 12Monique Le MoingDominique Sierra, Un couloir infini, Ménétreuil, Éditions La tête à l’envers, 2012, 143 pages13Les secrets n’ont pas de forme, pas de couleur, ils n’occupent aucun espace, ils ne sont rien d’autre qu’eux-mêmes, multiples, innombrables, infinis. Mais, légers, aériens, souterrains, muets ou claironnés, ils ont toujours un poids. Le secret, dans ce roman de détresse et d’amour blessé, est lourd, très lourd. Il fascine la narratrice J’ai envie d’avoir le plus de secrets possibles… Des secrets, pour avoir quelque chose à moi ? Pour peser davantage ? Pour me sentir exister ?… » Ce roman est un récit sans histoire évocation, obsession, lamentation, déploration, haine, amour, soif de vie, soif de mort, tout cela s’entremêle dans l’esprit de cette femme qui vient de trouver, mort au milieu d’un couloir fantasme ou réalité ?, le corps de son mari. Cet objet » inanimé – car il y a belle lurette que les époux ne sont plus l’un pour l’autre que des étrangers, qui se fuient, se détestent – suscite une longue réminiscence, en diverses séquences le mariage dont l’anniversaire a toujours donné lieu a une grande fête », la cuisine, l’infidélité d’un mari mathématicien, volage d’une voracité criminelle », les travaux de rangement et de couture, un avortement, une belle-maman qui a tout d’une sorcière la mère de la narratrice ne vaut guère mieux, l’immense tapis des griefs qui s’accumulent dans la poitrine, pèsent de tout leur poids », le nom d’une fillette, Louise, ou d’une poupée… Les mots se déversent, comme un torrent de lave et de rage, dans ce couloir sans fin de la mémoire Oh ! Tous ces mots ! Tous ces mots autour de moi. En moi. Ça grouille, ça grouille comme des vers qui vous pénètrent et se multiplient à l’infini… ». On a compris que ce livre n’est pas un roman rose. Ni même un roman noir. C’est bien pire et plus beau. C’est le roman de la fureur de tuer, de vivre, d’exister pour les autres, pour soi…, la fureur d’être, tout simplement. Mais n’est-ce pas, plutôt, peut-être, le livre d’une question, d’une seule question, d’une question terrible. Mais adressée à qui ? Peut-être à toi, d’abord, directement, lecteur ? La voici ; elle clôt le roman On a le droit de fuir quand on ne peut plus combattre ? Quand on est vaincu et qu’on n’a plus de force ? Quand tout est trop grand pour soi, trop terrible, trop… 14TROP. Tout simplement “trop”. 15On a le droit ? » 16Bernard SeséLivio Boni sous la direction de, L’Inde de la psychanalyse. Le sous-continent de l’inconscient, Paris, CampagnePremière/, 2011, 272 pages17Qu’on s’attache à voir dans l’Inde une terre de spiritualités » – à la manière de ce que l’abbé Bremond découvrait dans la France de l’époque classique –, qu’on y accueille les recherches actuelles d’Ashis Nandy sur le colonialisme cf. L’Ennemi intime, avec une préface de Charles Malamoud, que le sous-continent » ait à se passionner pour la spiritualité, pour le mysticisme ou le sentiment d’océanité », on est de plus en plus ouvert à ce à quoi on a affaire, selon Freud lui-même à une sorte de jungle hindoue ». Et cela grâce à Livio Boni, l’organisateur du livre collectif intitulé l’Inde de la Psychanalyse et publié directement en français. 18Une société analytique freudienne fut fondée, non en Occident, mais en Inde, à Calcutta, à la date de 1922, tandis que celle de Paris ne prit naissance qu’en 1926. C’est encore aujourd’hui par la renaissance bengalie et par son pouvoir sur l’Indian Psychoanalytic Association que le freudisme exerce son influence en Inde. 19Cette renaissance culturelle de la capitale indienne bénéficia d’un puissant mouvement de traduction, notamment en français, d’auteurs comme Romain Rolland, avec lequel Freud eut, entre 1926 et 1936, une correspondance autour des célèbres textes hindous de Ramakrishna, de Vivekananda, du poète Tagore, ainsi que de Gandhi. Cette rencontre donna lieu à un dialogue sur le sentiment religieux cf. L’Avenir d’une illusion. 20Avec ses contributeurs, Livio Boni nous présente ici une herméneutique centrée sur la religion, le sentiment religieux, les mystiques indiens contemporains ou chrétiens, avec une référence moderne au sentiment océanique ». 21Charles BaladierGuido Liebermann, La Psychanalyse en Palestine 1918-1948. Aux origines du mouvement analytique israélien, Paris, CampagnePremière/, 2012, 309 pages22Une légende invérifiable affirmait que les jeunes pionniers juifs qui arrivaient d’Europe au début du siècle dernier en Terre d’Israël pour réaliser leur rêve de reconstruction de leur foyer national en fondant les kibboutzim amenaient dans leurs bagages deux et seulement deux livres Le Capital de Karl Marx, et L’Interprétation des rêves de Sigmund Freud. 23Mais si cette légende est invérifiable et relève probablement davantage du mythe, le livre de Guido Liebermann en revanche offre un panorama touffu, large et exhaustif de l’arrivée du freudisme et de la psychanalyse dans cette terre, bien avant la déclaration d’indépendance de l’État d’Israël. 24En fait, l’histoire que nous propose Liebermann est celle des origines du mouvement analytique en Israël, qui se confond avec les deux dates symboliques de 1918 juste après la Déclaration Balfour et la fin de la première guerre mondiale et le début de la domination britannique sur la Palestine et 1948, c’est-à-dire la fin du Mandat britannique et la déclaration de l’indépendance. 25Liebermann nous fait parcourir avec une extrême rigueur les différentes étapes d’introduction de la psychanalyse en Palestine. Il est plus qu’intéressant de noter que celle-ci ne se réalisa pas seulement par les voies classiques » de la clinique et les instituts de Santé mentale absolument inexistants à l’époque, et que les psychanalystes ont largement contribué à fonder et à développer, mais aussi dans des pans entiers de la société comme l’assistance aux jeunes déshérités et en errance, l’éducation dans les kibboutzim, et plus largement dans de nombreux projets sociaux et éducatifs. Ce n’est pas une des moindres surprises que nous réserve ce livre de voir à quel point la psychanalyse prit une place de choix dans tous les domaines du social, imprégnant la pensée et l’action de ces immigrants confrontés à des difficultés inédites dans une société en développement accéléré et avec des moyens matériels assez limités. L’essor de la psychanalyse, notamment en ce qui concerne l’attention portée aux enfants et aux adolescents, est stimulante et laisse songeur par rapport aux résistances que nous constatons aujourd’hui un peu partout. L’auteur dresse des portraits saisissants des pionniers de la psychanalyse en Palestine Max Eitingon, bien sûr, mais aussi Montague David Eder, Mordechai Brachyahu, Dorian Feigenbaum, Siegfried Bernfeld, David Idelson, et surtout Mosche Wulff. 26En même temps, ce développement de la psychanalyse ne fut pas sans accrocs. Déjà à l’époque se dessina une opposition ouverte au freudisme et à la psychanalyse, provenant à la fois de l’establishment religieux et des courants de la pédagogie venus des États-Unis. D’une certaine manière un antagonisme se dessine dès lors entre un courant européen, laïque, inspiré par la philosophie des Lumières la psychanalyse, et un autre courant, fortement marqué par la religion et la tradition religieuse. 27Bien évidemment, les psychanalystes trouveront un intérêt tout particulier aux chapitres consacrés à la création de la Société de psychanalyse à Jérusalem par Max Eitingon, et la mise en place des programmes de formation des analystes, ainsi qu’aux chapitres consacrés à l’accueil réservé à l’œuvre de Freud, et plus particulièrement aux ouvrages consacrés aux questions culturelles, notamment Totem et tabou et son dernier et polémique essai sur L’Homme Moïse et la religion monothéiste. Les diverses tentatives infructueuses d’introduire la psychanalyse à l’Université sont tout aussi intéressantes et illustrent bien les résistances à l’œuvre contre la découverte freudienne. 28Il fallait être comme Liebermann à la fois psychanalyste et historien pour pouvoir établir un récit aussi juste du point de vue psychanalytique que rigoureux du point de vue historique. La richesse, l’abondance et la pertinence des sources, dont un grand nombre d’inédits, confèrent à cet ouvrage une valeur documentaire incontestable et incontournable. 29L’auteur nous promet une suite à cette recherche exemplaire et passionnante que nous attendons avec l’impatience que suscitent les livres qui ouvrent des horizons. 30Daniel KorenÉléonore Armanet, Le Ferment et la grâce. Une ethnographie du sacré chez les Druzes d’Israël, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, Les Anthropologiques », 2011, 364 pages31L’auteur de cet ouvrage, docteur en anthropologie, a vécu pendant deux ans et demi, de juin 1996 à janvier 1999, dans une communauté druze d’Israël, en haute Galilée. Ce travail ethnographique effectué avec passion et retracé de manière critique est centré sur les femmes et le corps, dans leur relation au sacré. La recherche a été faite dans la langue de la société étudiée. 32Éléonore Armanet repère, à la lecture du matériel recueilli, des champs d’intimité », parmi lesquels figurent le pain, le corps féminin et le Livre. Des chapitres entiers leur sont consacrés et mettent en évidence les similitudes de sens et de symboliques dans ces trois champs. On voit ainsi le caractère central du pain dans les repas, la ritualité de sa fabrication et la puissante sacralité dont la communauté l’investit. Ce sont des conduites de mise à l’abri » du corps féminin dans le vêtement, le silence, l’espace et la pudeur qui sont décrites et analysées. Allah nous a appelées à abriter, et non à dévoiler », dit un proverbe féminin cité dans cet ouvrage. Nos femmes sont des perles. Fermée autour d’elles, une coquille en protège le trésor », dit Isâm, 27 ans. Quant au Livre, l’auteur met l’accent sur son caractère indicible, plutôt que secret. C’est ce Livre qui m’a semblé l’aspect le plus original de la recherche, Livre dont on aimerait en savoir plus, d’ailleurs. Il est sacré comme le sont les Écritures dans les religions monothéistes traditionnelles, mais est l’objet d’un traitement » très particulier, similaire à celui du nouveau-né on l’emmaillote. Par ailleurs, il est comparable à la femme et à son voilement Femme et Livre semblent ainsi liés à un même destin. Destin de l’Origine qu’ils incarnent et abritent. Est-ce simple coïncidence si le foulard féminin nqâb des religieuses mutadayyinât fait l’objet, lorsqu’on le range, d’un minutieux pliage tawî codé et uniforme, dont l’enveloppement final évoque les pages d’un livre encloses dans leur membrane blanche ? » p. 293. 33Toutes les observations minutieuses retranscrites ici sont précieuses, ainsi que les réflexions auxquelles elles mènent, dont le contenu se démarque de la plupart des affirmations de la littérature orientaliste, théologique et historique développée sur la communauté druze » qui assimile la prescription religieuse du “secret” à une mesure tenue seulement, et de façon systématique, en présence du non-Druze, afin de mieux se distancer de lui ». Pour E. Armanet, le terme de sirr, généralement traduit par secret », l’est de manière erronée car il désigne ce que la langue arabe définit comme la partie la plus intime d’une chose, son origine, son principe ». C’est pourquoi on trouvera sous la plume de l’auteur plus souvent des termes désignant le silence, comme le savoir-taire », par exemple, ou l’intime, que le mot secret ». 34Florence LéviPatrick Avrane, Les Chagrins d’amour, Paris, Seuil, 2012, 157 pages35Pas de secret pour un psychanalyste. Cette affirmation serait aux antipodes de la pensée de Patrick Avrane, orfèvre en la matière. Au contraire, c’est dans l’épanouissement d’un amour authentique que s’approfondit l’inépuisable secret du mystère de l’autre, de mon propre secret. Le chagrin d’amour est un révélateur de la qualité d’une passion vraie ou fausse, juste ou trompeuse, narcissique ou bien ouverte à l’altérité ? Le chagrin d’amour est le signe d’un échec de l’amour ; deux aboutissements s’offrent à lui le suicide ou la sublimation, la balle de pistolet que Werther se tire dans la tête, ou la métamorphose dans les registres de l’imagination créatrice. Le chagrin d’amour porte en lui l’écho, proche ou lointain, de la mort ; n’est-il pas une façon d’en déjouer la menace ? De façon paradoxale, le chagrin d’amour est aussi une victoire de l’amour. Patrick Avrane l’affirme Le chagrin garantit la persistance de l’amour. À la différence du deuil, il ne transforme pas son objet en une chose indifférente, il le perpétue. » Il est même la clef d’une enrichissante expérience de soi-même Le chagrin ouvre les porte de l’Autre. » Delphine de Madame de Staël, Adolphe de B. Constant, René de Chateaubriand, Roméo et Juliette de Shakespeare, la légende de Tristan e Iseut, Rabelais, À la recherche du temps perdu de Proust, Le Château des Carpathes de Jules Verne, La Femme du Boulanger de Pagnol, Jean le Bleu de Giono, les écrits d’Anaïs Nin… la subtile analyse des peines de cœur se tisse ici à partir de références littéraires, où se distinguent le chagrin de la pulsion » et le chagrin de l’objet ». Sujets humains, discrètement voilés, ou personnages de fiction, êtres de chair et de papier », ayant traversé la même expérience, échangent leurs statuts dans le réel de l’écriture de l’auteur qui les examine dans la même perspective. Des héros littéraires, des cas cliniques, s’entremêlent dans ce grand théâtre du chagrin ; l’éclairage, que P. Avrane leur donne, met en relief les pulsions ou les déterminismes qui ont orienté leur destin, lorsqu’ils affrontèrent cette épreuve. Heureuse épreuve Ainsi nous comprenons que traverser le chagrin d’amour permet de nous déprendre de la fatalité du destin. » 36Bernard Sesé Résumé. En partant d’un cas clinique d’érotomanie est développée une réflexion sur la pratique du transfert dans la psychose. Ce cas nous fait enseignement d’une part sur la manière dont peut être assumé le transfert avec le sujet psychotique, et d’autre part sur ce que le sujet invente comme solution autogène, ici délirante, pour parer à l’éminence du rapport mortifère à sa psychose. Le clinicien doit pouvoir trouver là un modèle de sa visée de thérapeute, soit l’instauration d’une fonction de limite de la jouissance. Article Au commencement de la psychanalyse était l’amour », nous rappelle Solal Rabinovitch1. C’est en effet par les premières manifestations du transfert que la question de l’amour s’est introduite dans la pensée analytique, dés ses débuts. Il n’est pas la peine de rappeler la cure d’Anna O. par Breuer et Freud, ni l’insistance de Lacan sur ce point qui y consacra une année entière de son séminaire. Mais c’est en passant par cet amour fou qu’est l’érotomanie que j’ai souhaité aborder la pratique clinique de la psychose, qui ne peut éviter la question du transfert avec les sujets psychotiques. Je vais alors tenter de témoigner d’un transfert psychotique et de son maniement dans une cure, à travers ce récit clinique, qui viendra aussi nous enseigner l’intérêt pour le sujet de la solution érotomaniaque, mais aussi ses quelques déconvenues. Cette patiente, âgée de 53 ans quand elle est venue me consulter sur les recommandations de la médecine du travail, m’avait été adressée parce qu’elle s’était embringuée dans un jeu de séduction avec un jeune énarque ». Ce sont ses mots. Avant d’exposer cette folie amoureuse dont elle était venue me parler, je dois vous retracer les principaux éléments de son parcours. Elle est issue d’une famille modeste de charpentiers, mais son père, qui n’avait jamais eu beaucoup de goût à cela, avait revendu l’entreprise familiale et s’était reconverti comme secrétaire d’une petite mairie de village. Il décèdera précocement, à l’adolescence de la patiente, d’un infarctus. Elle le décrit comme réservé et peu présent dans l’éducation de ses enfants, peu de place lui étant d’ailleurs laissée par son épouse. Je ne retrouvais pas de trace chez elle d’un quelconque attachement à ce père, que ce soit en bien ou en mal, seule apparaissait une certaine indifférence à son égard. Les phénomènes de sa psychose laissent supposer qu’aucune métaphore paternelle ne réussit à s’établir, aucun autre ne venant suppléer à ce père pour assurer cette fonction paternelle à même d’orienter le désir de sa mère. Sa mère, qui habite toujours en province, est décrite, elle, comme très autoritaire. Elle se montrait très dure, surtout avec ses deux filles, la patiente y voit d’ailleurs comme conséquence qu’elle et sa sœur se sont mariées à des étrangers. Elle nous a écrasé, elle nous a mis des bâtons dans les roues, encore aujourd’hui, elle répond à notre place ». A d’autres moments cependant, elle en parle comme d’un véritable pilier » pour elle, sans elle, je m’effondre ». L’Autre maternel se présente, dans son discours, d’emblée sous ses deux versants, l’un persécuteur, l’autre qui maintient en vie, tout comme dans le rapport du Président Schreber au dieu de son délire, une érotomanie divine»5ref]Lacan, J. 1981.Les psychoses, 1955-1956, Seuil, dira Lacan. De son enfance, peu de souvenirs, sinon une atmosphère pesante. Elle était l’ainée de la fratrie, a eu une sœur et deux frères. Le seul élément notable est qu’elle souffrait d’un tic provoquant un mouvement de tête qui dit non, ce qui n’est pas n’importe quel mouvement, déjà une forme de négativisme, phénomène que l’on peut interpréter comme un effet dans le corps de la forclusion. Elle a eu quelques flirts à l’adolescence, elle va même être fiancée pendant un an, puis décidant, brutalement, que ce fiancé n’est pas le bon, au moment d’officialiser les choses, elle file, on pourrait dire à l’anglaise, en embarquant pour l’Angleterre comme fille au pair. Est ce là un premier moment de déclenchement de sa psychose? C’est probable. Elle y rencontre, presque aussitôt arrivée, son futur mari, écossais, étudiant aux Beaux Arts l’acuité de son regard sur les choses sera sans cesse mise en avant. La manière dont se déroule cette rencontre est essentielle à repérer, puisqu’elle constitue une première fixation érotomaniaque. Ils se rencontrent dans une bibliothèque, elle voit dans son regard qu’il a le coup de foudre pour elle, le dit love at first sight» et se laisse rapidement séduire pour se marier cinq mois plus tard. On était nés à quatre jours de différence, tous les deux capricorne, on était fait pour la vie de bohème, j’ai eu l’impression de trouver comme un jumeau, un double. Une relation à la vie, à la mort, on avait cette certitude que jamais rien ne pourrait nous séparer ». Cela souligne la capture imaginaire qui fait, avant tout, le ressort de l’amour psychotique, restant figé sur l’axe a-a’. C’était pour elle aussi un pilier », même signifiant qu’elle emploie pour sa mère, autre point marquant le rôle de ce mari comme prothèse imaginaire, venant sous la forme de l’amour localiser la jouissance de l’Autre. L’érotomanie, en restaurant une version sexuée de la jouissance, bien que version non œdipienne, permet en effet une tempérance de cette jouissance insoutenable. Avec son mariage d’ailleurs, elle note que ses tics disparaissent, ils réapparaîtront temporairement au décès de son mari. L’étranger et l’éloignement de la langue maternelle ne sont pas pour rien dans cet équilibre trouvé pour un temps, manière de limiter cette jouissance insoutenable de l’Autre maternel, que nous constatons fréquemment comme motivation de départ pour un pays de langue étrangère, de langue non-maternelle. Nous pouvons prendre la mesure ici que l’érotomane est dans la certitude, certitude qu’il ou elle est un objet précieux et unique aux yeux de l’autre, là où l’hystérique ne cesse de s’interroger sur le Pourquoi me choisit-il moi? », Qu’est-ce qu’il me trouve de particulier? » ou En quoi suis-je différente des autres? ». Là pas non plus beaucoup de doutes sur la réciprocité des sentiments, elle en a la ferme conviction, quand la vie amoureuse ordinaire » nous fait renouveler sans cesse cette interrogation. Elle aura deux fils ; le premier souffre d’un retard mental en lien avec des complications obstétricales, associé à une psychose infantile ; le second, schizophrène, a décompensé au décès de son père. L’érotomanie, que nous qualifions ici de conjugale, n’est, en effet, pas restée sans conséquence sur les enfants du couple. Ils vont vivre pendant treize ans en Écosse, une vie de bohème » dit-elle. Mais elle présente, suite à un avortement, une symptomatologie dépressive, suivie de peu par son mari sur un mode mélancolique, ce qui décide le couple à rentrer en France, elle, recherchant ouvertement le retour auprès du pilier» maternel. Elle prend alors un poste dans une administration comme secrétaire, poste qu’elle continue d’occuper. Elle évoque une vie parfaite avec son mari, nullement assombrie par les infidélités multiples et les crises de jalousie fréquentes de son mari. Cet équilibre parfait » va cependant vaciller au décès de son mari, dans les suites d’un cancer. Elle va de nouveau connaître une phase de dépression, prise en charge par son médecin généraliste avec un traitement antidépresseur. Mais ce n’est pas le traitement qui va la sortir de sa dépression, sinon peut être en précipitant quelque peu les événements qui vont suivre. En effet, c’est la même année qu’arrive dans son administration, un jeune énarque d’une trentaine d’années elle a alors 49 ans qui va commencer à avoir de drôles d’intentions à son égard. Il était surnommé le beau gosse ». Il était entouré d’une cour de filles, il aurait pu avoir un mannequin du 16è arrondissement, alors pourquoi moi ? Il a commencé à jeter un regard incendiaire sur mes jambes puis sur mon ventre». Encore une fois, cette interrogation sur le Pourquoi moi?» n’était que pure rhétorique dans la dialectique de sa conviction délirante, radicalement opposée au Che vuoi?» de l’hystérique. Tout cela durera plusieurs années, avec de nombreux petits signes qui viendront étayer progressivement ses premières certitudes. Deux ans après son arrivée, un banal évènement va déclencher, chez elle, le coup de foudre. Il lui propose en effet de l’aider, la voyant encombrée de tout son courrier. Quelques temps après elle remarque qu’il reprend “ son jeu d’allumage avec ses regards langoureux et sensuels”. “Ça a commencé à m’exciter”, nous avoue-t-elle. En pleine phase d’espoir, de nouveaux signes viennent confirmer son intérêt pour elle, elle se jette alors à l’eau et lui envoie petits mots et mails d’abord anodins, puis déclarant de plus en plus sa flamme. Elle commence à avoir des remarques de sa hiérarchie. Notre hiérarchie est très importante, notre relation n’était pas tolérable » dit-elle. Elle s’interroge alors sur les pressions que son objet a du subir pour être forcé à se plaindre d’elle. Cela ne l’arrête pas beaucoup si bien qu’après un congé pendant lequel elle lui a adressé de nombreuses cartes postales évoquant leur “amour contrarié”, si nous pouvons le résumer ainsi, elle se voit convoquée par sa hiérarchie en présence du beau jeune homme. Il se plaint de son harcèlement, un des deux doit donc quitter le site où ils travaillent, ce sera elle. C’est à ce moment-là que je commence à la recevoir dans une phase de dépit, mais qui ne reste pas sans espoir. Il est mis en place un léger traitement et un suivi régulier qui va durer près de 7 ans, elle ne manquera aucun rendez-vous et pour cause. Après une première phase où elle évoque beaucoup sa relation contrariée, relation qu’elle compare sans cesse à celle qu’elle a connue avec son mari, elle prend un peu de distance sur sa situation, arrive à en rire, à se dire qu’elle a été idiote de tomber dans le panneau de ce séducteur. Mon attitude alors fut de soutenir sa parole par une écoute attentive de son histoire et de son délire, de se faire le secrétaire de l’aliéné»2 comme le souligne Lacan reprenant l’expression de Falret, mais également de l’aider à considérer son expérience comme commune et non exceptionnelle, notamment vis à vis de l’attitude de sa hiérarchie vécue de manière persécutive, manière de tempérer là aussi une jouissance insoutenable dont elle se sentait l’objet. Cette position, délicate à tenir, tentait d’assurer un apaisement tout en évitant de prendre une place de grand Autre, par un discours trop médical par exemple, qui serait devenue pour elle persécuteur. Cependant une relation transférentielle érotomaniaque s’est instaurée avec son thérapeute, qui s’est principalement caractérisée par deux choses certaines poses suggestives qu’elle adoptait lors des entretiens et la poignée de main à son départ où elle ne manquait pas de me caresser le creux de la main. Ce transfert fut inévitable, l’objet de l’érotomaniaque étant toujours l’homme d’un savoir, ma position de médecin ne pouvait que favoriser un tel transfert, et peut être sans y prendre garde avais je par quelque attitude bienveillante pu le favoriser autrement que par ma fonction. Un transfert érotomaniaque est chose assez banale dans la prise en charge au long cours des patients psychotiques, pour cette patiente, ce n’était que répétition de sa solution délirante. La reconnaissance de ce lien transférentiel ne s’est pas établie sans quelques inquiétudes, me traversait l’esprit ces descriptions clérambaldiennes d’érotomanes harcelantes ou meurtrières. Cela ne semblait cependant pas être son cas. Identifiant ce lien transférentiel, il s’agissait de le manier avec prudence. J’ai donc poursuivi en étant vigilant dans mes mots et mes gestes à ne pas laisser trop de prise à l’interprétation, à ne pas alimenter en signes sa pente érotomaniaque ; je savais cependant les mots de Clérambault rapportant les propos d’une érotomane Son regard et sa voix ont toujours démenti ce qu’il me disait »3. Quoi que je dise, elle pouvait l’interpréter dans un sens qui venait appuyer sa conviction. Comment dés lors maintenir ce transfert sur un mode platonique et ne pas favoriser le glissement vers une érotomanie mortifiante»4 dans laquelle elle pouvait s’engouffrer? J’ai longuement écouté ses plaintes autour de manifestations anxieuses ou somatiques multiples, de contrariétés au travail, de ses enfants et de sa difficulté à voir le bonheur des autres qu’elle sentait épanouis sexuellement, alors qu’elle ne trouvait rien de ce côté là. Il s’agissait bien pour elle de se faire l’objet de la jouissance de son médecin, en s’offrant elle, identifiée à ses maux. Ses mots sur ses maux lui apparaissaient comme ce qui était attendu d’elle par son médecin supposé jouisseur. J’ai donc tenu cette place pendant prés d’une année, constatant une certaine inertie dans son discours, puisqu’elle ne cherchait plus à repérer les coordonnées de son parcours, ni à s’interroger sur ses difficultés, mais simplement à se faire don à l’Autre. Il fut alors essentiel de ne pas être pris soi même dans une forme de jouissance névrotique. La demande, l’obsessionnel, on le sait, il n’attend que ça, il supplie qu’on lui demande dit Lacan{ref]Lacan, J. 2004. L’angoisse, 1962-1963, Seuil, Donc ne pas jouir de cette place où nous met le sujet, mais aussi assumer une certaine constance dans le lien transférentiel, ne pas vaciller et supporter les avatars de ce lien. Tout doucement, sur l’insistance de ses collègues et avec mon soutien discret dans ce sens, elle a commencé à se mettre en quête d’un nouveau compagnon. Sorties au dancing avec ses amies, annonce de rencontre passée dans une revue consacrée aux chasseurs et enfin inscription sur Meetic, qui lui a permis de rencontrer un homme avec qui elle entretient une relation depuis. C’est un Japonais » me dit-elle, ça va faire hurler ma mère!». Quelle jouissance se lisait sur son visage à ce moment où elle me l’annonça. Elle abandonna aussitôt ses petits signes à mon égard. Alors certes, c’est une relation un peu compliquée, mais qui semble cependant pleinement la satisfaire, un nouveau pilier » dit-elle encore. En effet, il apparait un peu bizarre, il est plus jeune qu’elle, a des TOC » plus qu’étranges, et a une passion pour les femmes mûres » , si bien qu’il a une autre relation avec une femme tout aussi mûre. Elle s’en accommode sans grande difficulté, en se voyant comme la femme des sens », la femme bohème », et l’autre, sa rivale, comme la femme de ménage », s’occupant des tâches ingrates. On voit ici la méconnaissance systématique de l’autre femme comme modèle ou rivale, bien repérée dans la clinique classique de l’érotomanie, comme absence de jalousie. Depuis lors, ses manifestations anxieuses ont disparu, de même que ses plaintes. Les entretiens se sont espacés, et son temps a été désormais presque totalement consacré à cette nouvelle passion. Plus signe de l’énarque, ni du thérapeute. Une évolution et un parcours thérapeutique que n’aurait pas reniés Esquirol, lui qui proposait comme seul remède à l’érotomanie, le mariage à son objet de fixation. Elle s’est, en effet, mariée au premier objet de son érotomanie. A sa disparition, elle trouve un nouvel objet avec cet énarque, mais là, son amour est contrarié. Alors au moyen d’une fixation transitoire sur son thérapeute, elle est parvenue à nouer une nouvelle relation, qui bien qu’un peu bancale, la soutient de nouveau. Cette solution érotomaniaque, solution autogène de la psychose, dont on observe ici la vertu stabilisatrice, invoquée pour parer à l’éminence d’un rapport mortifère, le clinicien doit pouvoir y trouver un modèle de sa visée de thérapeute, soit l’instauration d’une fonction de limite de la jouissance, comme l’a si bien souligné Francoise Gorog dans son article sur l’érotomanie5. C’est, entre autres, une des visées de la création en mai 2011, à son initiative, de l’Institut Hospitalier de Psychanalyse IHP à l’Hôpital Sainte Anne, que de poursuivre une recherche et un enseignement en psychanalyse en dialogue avec d’autres disciplines et articulés à la pratique clinique , l’IHP favorisant également l’accès à tous au traitement psychanalytique. Bibliographie [1]Rabinovitch, S. 2007. La folie du transfert, Eres, [2] Lacan, J. 1981.Les psychoses, 1955-1956, Seuil, [3] Lacan, J. 1981.Les psychoses, 1955-1956, Seuil, [4] Gatian de Clérambault, G. 1998, Œuvres psychiatriques, Frénésie. [5]Lacan J., 2001 Présentation des Mémoires d’un névropathe », 1966, Autres Écrits, Seuil, 213-217 [6] Lacan, J. 2004. L’angoisse, 1962-1963, Seuil, [7]Gorog, F. 1988. Histoire d’un concept l’érotomanie, Nervure-Journal de Psychiatrie4 Dr Luc Faucher Psychiatre et Psychanalyste Praticien Hospitalier à l’Institut Hospitalier de Psychanalyse Hôpital Sainte Anne, Paris

c est quoi l amour en psychanalyse